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DADVSI: le téléchargement

Ethique contre porte-monnaie

Dans la dernière vidéo disponible sur le blog lancé par le Ministère de la Culture (ici), Claire Keim invite l’internaute à se responsabiliser. Si l’on peut regretter qu’encore une fois l’orientation du débat voulue par notre ministre n’aborde pas les vrais problèmes posés par son projet de loi (comme nous avons pu le voir dans ce précédent article), on ne peut qu’apprécier que l’actrice tente de faire appel aux meilleurs sentiments des consommateurs.

Conséquences attribuées au téléchargement

Prenons comme axiome que les téléchargements ont une influence directe sur les ventes de produits culturels (bien que cet axiome soit en lui-même contestable). Il devient alors tout à fait souhaitable de soutenir l’industrie culturelle, non seulement pour garantir les emplois dans ce secteur, mais aussi pour favoriser la pluralité de choix.

En ce qui concerne l’emploi, cela rappelle fortement la campagne lancée en 1995 pour relancer la croissance, dont le slogan était "nos emplettes sont nos emplois". Malgré la conscience citoyenne que souhaitait ainsi réveiller le gouvernement d’alors, cette campagne se révéla être un échec: l’économie française étant en plein marasme, les consommateurs préféraient logiquement à qualité égale acheter un produit moins cher qu’un produit bien français de chez nous. Dans la mesure où la situation économique n’est guère meilleure aujourd’hui qu’à l’époque, il est fort peu probable que faire appel à la responsabilité des citoyens soit très efficace pour limiter les téléchargements illégauxet gratuits, d’autant moins que les campagnes marketing poussant à se procurer le dernier succés à la mode, les consommateurs se sentent obliger de se le fournir, même s’ils n’en ont pas les moyens.

Pour ce qui est de la plurabilité, les faits tendent malheureusement à montrer que le pré-formatage de la culture est une idée fortement ancrée dans l’esprit des dirigeants de cette industrie. Lorsque l’on constate qu’un groupe comme Blankass n’a eu droit qu’en 2005 a une campagne publicitaire télévisée, alors que le groupe a plus de 10 ans d’existence, on en droit de se demander si ce n’est pas la renommée que le groupe s’est construite au cours de ses concerts qui a amené sa maison de disque à mettre le dernier album en avant. Pourtant, lorsqu’on les interroge, les décideurs expliquent que ce sont les succés garantis qui permettent de financer les échecs possibles. Notez le problème que cela pose: vu qu’un film ou un disque risque de ne pas être un succès, ne faisons pas de publicité pour lui, comme ça on sera sûr qu’il ne sera pas du tout un succès.

Bienfaits du téléchargements

C’est à ce niveau là qu’intervient le bouche à oreille, qui permet de transformer à moindre frais une sortie confidentielle en succés raisonnable. Les décideurs sont bien conscients de ce facteur, puisqu’ils n’hésitent pas à organiser des avant-premières ou à pratiquer le marketing viral. Mais là encore on favorise les succés annoncés, à moins que la cible soit clairement identifiée et puisse être atteindre via les média spécialisés.

C’est face à ce marketing du gain certain que le téléchargement peut jouer un facteur déterminant. Le cas de Lorie est un exemple flagrant: alors qu’aucune maison de disque ne voulait la signer pour un album, la chanteuse alors débutante avait mis à disposition ses premières chansons librement sur Internet. La gratuité aidant ("ça ne mange pas de pain" comme dit l’expression), de premiers téléchargements eurent lieu, puis le bouche à oreille à pris le relais. L’initiative eut un tel succés que Lorie obtint ensuite un contrat avec une maison de disque.

Le téléchargement semble donc bien un facteur possible de bouche à oreille. Toutefois, le consommateur pouvant s’habituer à la gratuité, certains pensent que cela ne peut qu’entraîner une baisse des ventes. On en revient alors au problème de responsabilité, point de départ de ce texte. La répression serait-elle le seul moyen d’assurer ses revenus à l’industrie culturelle, le consommateur n’étant pas assez responsable?

Esprit citoyen

Irresponsable, l’est-il vraiment? La scène du fansub japanime contredit cette hypothèse. Un fansub consiste en un sous-titre amateur pour une série ou un film. Il existe même des scanlations, des traductions amateurs de bande-dessinées. Cette activité est particulièrement pratiquée dans le domaine des passionés de la culture japonaise. Devant le peu de choix de titres disponibles il y a une douzaine d’années (époque de la démocratisation du manga et de l’animation japonaise en France), nombreux sont ceux qui ont appris la langue japonaise afin d’avoir accés à un échantillon plus large de cette culture. Dans un soucis de faire profiter au plus grand nombre de cet élargissement, ils ont alors entrepris de traduire eux-même des séries et films d’animation. Parallèlement le marché en France se développant, les éditeurs ont commencé à mettre sur le marché des traductions professionnelles de titres qui n’étaient alors disponibles que chez les amateurs. Les éditeurs étant eux ausi des amateurs à la base, ils avaient pleinement conscience que les traductions d’amateurs généraient une demande que les professionnels pouvaient satisfaire. Ne pouvant toutefois concurrencer ce qui est gratuit bien qu’amateur, par la même chose payante, un accord tacite fut trouvé: les groupes de fansub ne seraient pas inquiétés légalement, à condition que la distribution des versions fansubées cessent d’être disponible dès qu’un titre serait officiellement licensié. Cet équilibre semble profitable à toutes les parties, puisque jusqu’à présent il n’a jamais été remis en cause.

Nous sommes là en présence de deux situations que tout oppose: d’un côté, lorsque les consommateurs n’ont pas d’attachement affectif à un produit (la campagne de 1995 évoquée plus haut), on ne peut attendre de lui qu’il fasse preuve de fidélité. A contrario, lorsque les consommateurs éprouvent une passion pour un produit, il fera sans doute le maximum d’effort pour le soutenir (ce qui inclut acheter les produits qu’il a découvert par le téléchargement et qu’il apprécie). Il aurait donc été souhaitable que des études poussées sur le téléchargement soient réalisées, afin de voir si le ratio passion/coût n’est tel que les effets positifs du téléchargement ne compensent en fait ses dérives.

# Publié le 27-02-2006 à 23:19 par Christophe Garrigue.
Dans la rubrique Culture.

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